Blog de Bernard André

Il faut restaurer l'autorité !

Il n’est guère de semaines sans que la presse ou autre média se fasse l’écho d’un appel à rétablir l’autorité ou la discipline à l’école, porté parfois par une nostalgie d'un prétendu âge d'or où l'autorité régnait pour le bien de tous.
Il n’est guère de semaines sans que la presse ou autre média se fasse l’écho d’un appel à rétablir l’autorité ou la discipline à l’école, porté parfois par une nostalgie d'un prétendu âge d'or où l'autorité régnait pour le bien de tous. Que ces appels soient le reflet d'un malaise, cela ne fait guère de doute. Mais à ne pas analyser plus précisément ce malaise, nous courrons le risque de nous précipiter sur des solutions – ou des dérives - aussi attrayantes que vaines. Alors, qu’en est-il de l'autorité ?
Je vous propose ici de partir d’une définition donnée par Hannah Arendt (1954)1. Pour cette philosophe, « l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’une part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté […] S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. ». Cette définition rappelle l'essentiel : c'est un contresens de vouloir " rétablir l'autorité " par une politique de règlements, de sanctions, bref de coercition. Car l'autorité par définition s'impose d'elle-même. L'imposer par la force, c'est paradoxalement affirmer son absence ! Ce qui est la marque de l'autorité, c'est sa capacité à être acceptée et reconnue comme telle : c’est sa légitimité.
Alors quel est le problème concernant l’école ? Comme toute institution, l’école a subi le choc de la démocratie, mettant à mal les légitimités traditionnelles. Et heureusement ! Que les châtiments corporels ne soient plus acceptés, que l’enseignant ne puisse plus être un despote dans sa classe, voici assurément un progrès. Mais toute médaille a son revers. La contestation de l’autorité a fragilisé le cadre scolaire, impliquant parfois beaucoup d’énergie de la part des enseignants pour faire face à des situations dérégulées. Les sanctions données lors d’un comportement répréhensible sont parfois contestées par ces mêmes parents qui souhaite-raient plus d’autorité à l’école… Autorité oui, mais pour les autres ! « Mon enfant, lui, a besoin d’être compris dans sa singularité, ses besoins, la situation particulière qu’il traverse », tel est le message souvent entendu par les enseignants. Par contre, que l’enseignant démontre plus de fermeté pour ses petits camarades, c’est une évidence qui n’a même pas besoin d’être évoquée…
Si la légitimité scolaire, à la base de l’autorité de l’école, s’est érodée, ce n’est pas seulement à cause de l’idéal démocratique, mais aussi pour d’autres raisons. Premièrement, elle ne re-présente plus l’accès unique à la connaissance. Elle se trouve ainsi contestée sur sa raison principale d’exister. Deuxièmement, censée offrir un accès à l’intégration dans une société de plus en plus exigeante, elle peine à assurer cette mission impossible. L’école est donc con-damnée à décevoir une large frange de la population dont les aspirations se heurtent à une sélection scolaire perçue comme un obstacle infranchissable. De plus, de multiples changements et réformes, souvent peu lisibles dans leurs propositions, ont mis à mal la légitimité de l’institution scolaire et des enseignants.
Toutefois ce n’est pas de cette incantation simpliste du « retour à l’autorité » qu’une amélioration viendra. Rétablir la légitimité de l’école, et donc son autorité ne peut faire l’impasse sur le rétablissement d’une confiance entre société civile et école. Curieusement, il est une dimension dans l’école finlandaise qui a peu été évoquée dans les débats concernant son efficacité : c’est justement la confiance dont jouissent l’école et les enseignants dans cette société. Reconstruire cette confiance est certainement un défi difficile et pourtant incontournable, si l’on veut améliorer l’école. Un défi auquel tant les associations professionnelles d’enseignants, les associations de parents et le département en charge de l’école pourraient mettre une priorité. Il ne s’agit pas d’abord de lancer une campagne de communication, dont les résultats ne sauraient être que superficiels, mais d’entamer une analyse des obstacles identifiés par les uns et les autres. Certes, le chemin est ardu, ne serait-ce que parce que le consensus sur une bonne école manque. Néanmoins, des documents comme « Une éducation pour la Suisse du futur » de l’Académie suisse des sciences2, ou le « Livre blanc » du syndicat des enseignants romands3 pourraient être une base pour lancer le débat, débat que nous appelons de nos vœux.

1. Arendt, H. (1961). Condition de l'homme moderne. Paris : Calmann-Lévy.
2. http://www.akademien-schweiz.ch/fr/dms/F/Publications/Rapports/ZukunftBildungSchweiz_f.pdf
3. http://www.le-ser.ch/_library/Fichiers_PDF/LB.pdf

Pour poursuivre la réflexion :
Renaut, A. (2004). La fin de l'autorité. Paris : Flammarion.
André, B. (2019). Autorité et pouvoir dans la classe. Revue française de pédagogie (205).
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