Blog de Bernard André

Le temps de l’invective et de la dérision

Si vous vous connectez à des forums de discussion sur le net, vous aurez certainement remarqué, parmi les avis exprimés, l’apparition soudaine dans une discussion d’invectives diverses en réponse à des avis pourtant exprimés calmement et sans animosité. Cette brusque montée de violence verbale, que rien ne laissait présager dans les échanges qui précédaient (si ce n’est justement l’habitude de participer à des forums…) ne vise pas à construire les échanges, et ne comporte que rarement une quelconque argumentation : elle vise à casser l’autre et ses propos dans une décharge émotionnelle ne laissant aucune place au dialogue et à l’échange d’arguments adverses. Régulièrement, le ton monte symétriquement, et le débat change de dynamique et perd alors tout intérêt. Il arrive parfois que, selon l’adage « Don’t feed the troll », les participants laissent de côté les contributions violentes sans y répondre : mais l’ignorance des provocations n’est pas toujours facile.
Il existe un autre type de contributions qui met à mal la possibilité d’échanges de points de vue : ce sont celles qui tournent en dérision des propos tenus, et qui, par une pirouette verbale, parfois aussi adroite que mesquine, fédère les moqueurs et esquive ainsi l’échange de points de vue et d’arguments.
Confinés aux forums du web, ces deux processus d’invective ou de dérision pourraient être considérés comme anecdotiques. Mais malheureusement, ils apparaissent à de nombreuses autres occasions, et parasitent des temps et des lieux destinés à la construction commune, Débats politiques, shows télévisés, contestations sociales : le conflit est rapidement transformé en affrontement par des attaques directes, des disqualifications ou de l’ironie visant les personnes d’abord.
Le problème n’est pas dans l’expression d’une colère, d’un refus ou d’une révolte. Le sentiment d’être traité injustement, l’impression d’être sans ressource pour faire face aux bouleversements de nos sociétés, les injustices criantes rencontrées, la sensation d’être dépossédé de son identité : toutes ces expériences douloureuses cherchent un chemin pour s’exprimer. Et l’incapacité de les faire entendre pourrait bien être à l’origine des invectives comme de la dérision à l’encontre de l’autre.
L’obstacle n’est donc pas dans ce qui essaie de se dire, mais plutôt dans le refus du conflit par la transformation de l’adversaire en ennemi, permettant toutes les dérives possibles. Le risque est celui d’un chaos devenant général, porteur d’aucune issue si ce n’est celle d’une « reprise en main », non pour rétablir le conflit, mais pour l’éteindre plus surement encore, de manière autoritaire, voire dictatoriale.
La volonté d’en découdre coute que coute, le mépris voire la haine de l’autre ne laissent place qu’à l’affrontement, d’autant plus lorsque certains sont habiles à souffler sur les braises pour attiser les rancœurs. Que plusieurs responsables politiques soient d’anciens amuseurs publics ne devrait pas prêter à sourire : rompus aux mots d’esprit, à l’art de mettre les railleurs de leur côté, ils sont particulièrement armés pour le temps de l’invective et de la dérision. Jusqu’au moment où ils ne font plus rire du tout, mais là, c’est sans doute trop tard.
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