Blog de Bernard André

Les conflits, c'est la vie

Notre société n’aime guère les conflits : l’harmonie paraît être l’horizon indépassable du bonheur humain. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les différentes publicités infligées régulièrement aux spectateurs de la télévision ou du cinéma : la magie d’un fromage, d’une chocolaterie, d’un détachant voire d’un plat industriel instaure l’harmonie autour de la table ou sur la place du village. Chacun est heureux, souriant, le paradis sur terre est enfin rétabli, ouf !
Le conflit, lui, fait souvent peur. Son irruption apparaît comme une rupture de la vie naturelle, comme un manque, une tâche, un obstacle à éradiquer ou à fuir, quelque chose qui n’aurait jamais dû être là.
Mais dans la vraie vie, les conflits sont là. De fait, nous n’avons pas le choix entre conflit et harmonie, mais entre conflit et… violence ! Car lorsque les conflits ne peuvent se vivre, ne peuvent s’exprimer, alors la violence guette. En effet, l’harmonie ne laisse pas de place à l’expression de l’altérité, c’est-à-dire de ce qui est autre, différent. La recherche d’harmonie, en niant toute tension, tout conflit, est une négation de celui qui est différent, qui est autre. Elle engendre la violence parce qu’elle fait de ce dernier un obstacle ou une menace. Vouloir supprimer le conflit, c’est nier à l’autre la possibilité d’être différent, d’avoir d’autres projets, une autre compréhension des choses et du monde, et de l’exprimer.
Il revient au sociologue Georg Simmel d’avoir été l’un des premiers à mettre en évidence le rôle positif des conflits. Un conflit, releva-t-il, est une forme de socialisation. Le conflit implique une forme de relation, une forme de reconnaissance, au contraire de l’indifférence ou d’une mise à l’écart. Cependant, pour que le conflit soit constructif, les protagonistes ne doivent pas se voir comme des ennemis à éliminer, mais comme des adversaires à respecter. Cela implique de dissocier les projets, actions et opinions, des personnes qui sont derrière : ne pas identifier la personne à ses actes est un pari parfois difficile, mais qui permet de construire à partir de et avec les conflits.
Cela dit, deux considérations nous font pencher pour accepter les conflits plutôt que rechercher l’harmonie. Premièrement, les tensions peuvent être sources de créativité, de recherche de compréhension mutuelle et de stimulation pour élargir son horizon et trouver de nouvelles solutions, au contraire d’une harmonie obtenue souvent par la négation de l’altérité, des différences, des avis divergents. Deuxièmement, celui qui voudra éliminer les conflits devra faire preuve d’une violence à la hauteur de l’absurdité de ce projet. Comme le relèvent Benasayag et Del Rey dans leur ouvrage « Éloge du conflit », on ne supprimera pas l’anthropophagie en mangeant le dernier anthropophage !
Les conflits sont la vie. Non comme un mal nécessaire, mais comme le ferment même de ce qui fait la variété, la créativité. Osons les conflits, c’est le meilleur antidote à la violence de celui qui n’accepte que ce qui reflète sa propre expression.

Pour poursuivre la réflexion :
Benasayag, M., & Del Rey, A. (2007). Éloge du conflit. Paris : La Découverte.
Simmel, G. (1992). Le conflit. Saulxures : Circé.
Retour

S'inscrire pour recevoir les avis de nouvelle parution